Fin

J’ai transféré le message dans ta boîte, celle que j’avais créée sous Outlook avec ton surnom dessus, Rabbit.

Ça y est, je ne te vois plus. Juste un petit dossier classé sous « boîte de réception », entre « Papmam » et « Work ». Même pas besoin de l’ouvrir. Juste sélectionner, glisser, n’en parlons plus.


Je l’ouvre quand même, pour voir.

148.

Cent quarante huit messages reçus. Le premier remonte à six mois.

rabbit re : votre annonce « rencontre » 12/05/2005 19:34

et ils se suivent tous, plus ou moins classés dans l’ordre. Au hasard…

rabbit re : raindrops keep falling on my head 16/07/2005 01:53

rabbit re :histoire du monde en general et d’une …23/09/2005 21:39

rabbit re : re : Génial 23/09/2005 21:24

rabbit Pour une fois c’est moi qui mets le titre 01/10/2005 00:02

rabbit re : je t’aime connasse 07/10/2005 04:54


Comme ça jusqu’au dernier.


rabbit mon pauvre amour 15/11/2005 03:03


Surtout ne pas relire.

Tout ce que tu m’as écrit, classé par date.

Sauf si je clique ici, sur De ou sur Objet… Voilà les titres par ordre alphabétique. Je me rends compte que, oui, les titres, c’était plutôt moi quoi les trouvais. Les tiens commencent souvent par – re :… Je ne sais pas si ça veut dire quelque chose. Peut-être que c’est moi qui ai commencé, moi qui t’ai entraîné. Pris l’initiative de tout ça. Ou alors, c’est juste que tu te fous des titres. Que tu aimais réagir directement à ce que j’écrivais.


Pas besoin de relire. Les titres suffisent. J’ai l’impression qu’il me suffit de les revoir pour me souvenir. Les phrases lapidaires, parfois juste un ou deux mots. Les mails de six pages, et ceux qui étaient encore plus longs, si longs que tu les avais mis en fichier attaché sous word.

Tout ce que tu m’as écrit est là. Notre histoire.

La moitié de notre histoire, pour être exact, parce que mes messages n’y sont pas. Perdus, éparpillés.

Peut-être pas tant que ça. Si je m’y mettais, je pourrais en retrouver la plupart. Dans la boîte envoi, déjà, si je me décidais à la trier. Et puis, comme tes messages sont souvent des réponses, et que ta messagerie cite automatiquement le texte original, je devrais pouvoir retracer toute notre correspondance.

Ça m’a effleuré l’esprit. Tout refaire, des copier-coller sous Word, en commençant depuis le début. Deux polices, une pour toi une pour moi, avec des couleurs peut-être… Citer la date, citer l’adresse complète – parce que parfois on changeait, parce qu’on n’était pas chez nous ou parce que quelqu’un risquait de tomber sur nos messages.

J’ai failli. Et puis j’ai pensé à toutes les fois où je t’avais écris depuis le boulot, ou depuis chez des copains, en utilisant le site de netline. J’ai compacté au moins une fois les messages sortants, impossible de les récupérer.

D’accord, je pourrais faire une demande auprès du serveur… mais le format est différent, ça ferait tellement de boulot… Des heures et des heures. Compiler, vérifier, coller, mettre en forme. Des heures. Peut-être davantage que le temps que ça nous a pris de l’écrire. Sûrement davantage.

Et puis quand on s’écrivait, moi, en tous cas, le temps, c’était autre chose.

Toute la journée au boulot à penser à toi, à écrire dans ma tête, à regarder la vie qui me passait sous le nez en me disant voilà, ça je vais te le raconter, ça ça te fera rire… Arriver à la fin de la journée avec mal à la nuque à force d’avoir tapé sur le clavier, et prendre le métro avec rien d’autre que les derniers mots que j’avais lus. L’impression d’avoir la tête pleine d’étincelles, l’impression de pouvoir sentir ton odeur malgré les aisselles de fin de journée autour de moi dans la rame. C’était comme une conversation sans pause, sans temps mort, sans arrêt. Comme si un fil bizarre reliait nos deux têtes. Un petit miracle insolent dans la grisaille du métro.

Tu m’imagines, comptant et recomptant, calendrier posé sur le bureau, pour savoir quel jour tu m’avais dit que ou quel jour j’avais écrit que ? Tu m’imagines, essayant de retrouver pourquoi cette phrase-là nous faisait rire, à qui tu faisais référence quand tu parlais du Bègue ou de Crapaud ? Et la musique qui passait à la radio à ce moment, comment je pourrais m’en souvenir ? Bien sûr il y a des mails qui disent, la radio passe ça ou ça et je pense à toi. Il y a des mails qui parlent de signes et de télépathie. Mais je crois que je n’arriverais plus à les comprendre.

Et puis qui ça intéresserait, hein, cette correspondance ? Ne parlons pas de toi et moi. Ce serait comme se donner rendez-vous dans un cimetière pour regarder nos propres tombes. Voilà. C’est mort, fini, ça n’a plus de sens, et tout ce qu’on pourrait faire, c’est se regarder pourrir et tomber en poussière doucement – ou alors se créer des fantômes, les fantômes terrifiants de ce que nous avons vécu. Juste pour nous hanter le soir et nous empêcher de vivre.

J’ai bien pensé à tout envoyer à un éditeur. Après tout, les lettres d’amour, c’est un genre comme un autre. Et il y a bien des gens qui visitent le Père Lachaise, non ? Tiens, regarde, c’est la tombe de Vincent Scotto, allez, on prend une photo, Maman sera contente, elle adorait ses chansons… Ridicule. C’est juste des bouts de pierre et d’os, que des gens qu’on a oubliés depuis ont mis là pour se souvenir d’un mec qu’on aura oublié bientôt.

Bon, peut-être qu’on a besoin des tombes, ne serait-ce que pour se sentir vivants, pour se prouver quelque chose…

Et c’est vrai qu’il était une fois un moment où chaque mot que je t’écrivais, chaque lettre que je recevais, me semblait unique, extraordinaire, hors du commun… bien sûr, quelque part je savais qu’avant nous des gens étaient tombés amoureux, s’étaient aimés puis s’étaient vus fondre. Mais je te jure que je nous sentais à part. Intouchables. J’étais certain que chacune de nos lettres aurait redonné la foi aux aveugles, comblé tous les manques d’amour du monde, mis fin aux guerres, à la misère.

J’exagère, comme d’habitude. J’ai pris ce pli pour te faire rire. Et pourtant, un moment j’ai cru qu’il y avait dans nos mots une vérité absolue, quelque chose que ne pourrait pas toucher la nature impermanente des choses.

Mais la voie qui est la voie n’est pas la voie véritable, et l’amour qui peut se dire n’est pas vraiment l’amour. Aum.

Et l’amour c’est comme le camembert ça peut pas durer toute la vie. Et quand on lui marche sur la queue le serpent hausse les épaules.

Merde.

148 messages.

Je crois que j’ai presque envie d’en ouvrir un. Relire. Retrouver nos mots avant que, dans ces moments où rien ne comptait que toi et moi. Je me souviens, au début, chaque message révélait des morceaux du passé – comme une pellicule photo exposée au jour, qui s’efface immédiatement. Peut-être s’écrire nous servait à ça, finalement : tout mettre au jour, faire la lumière et puis tout effacer. On se construisait une page blanche pour commencer une histoire d’amour.

Alors à quoi ça servirait de relire ? J’ai peur de trouver ridicule mon exaltation, nos rires, tes hésitations. Peur de nous trouver banals.

Et là je t’aurais écrit, on dit banals ou banaux ? et tu m’aurais répondu re : on dit comme on veut c’est ça qu’est normaux

Peur de me rendre compte maintenant que ce n’était rien, rien qu’une petite histoire d’amour sympathique – exactement, sympathique. Comme l’encre qui s’efface toute seule.

Et derrière tous ces mots, ces rêveries, j’ai surtout peur que ça me parle d’une autre histoire, d’une autre vie – celle que les gens qui ne savent pas appellent la Vraie Vie. La vraie histoire que nous avons fini par vivre, avec les maris qui reviennent, avec les doutes qui frappent à la porte, avec les soirées fatiguées et les nuits dans des hôtels un peu miteux où nous faisions semblant de rire en regardant les néons éteints des zones commerciales. Avec les enfants qui font qu’on n’a pas le droit. Avec les soirs où on se sent tellement bien, tellement amoureux qu’on pourrait embrasser n’importe qui. Et qu’on le fait, d’ailleurs.


Re : un couple rattrapé par la réalité, leur amour n’était qu’une liaison


Mais tu sais de quoi j’ai vraiment peur ? Bien sûr que tu le sais, inutile de te poser la question. Inutile de te parler.

J’ai peur que ça me parle vraiment d’amour. D’une histoire extraordinaire, improbable, magnifique. De deux êtres si beaux quand ils étaient amoureux. Prêts à tout lâcher, à s’abandonner l’un à l’autre, à défier le monde et le vide.

J’ai peur que ça me dise

ces moments dans les cafés où il n’y avait rien que tes yeux, rien que ta peau et ton odeur

plus de bruit, plus de trafic dans la rue, plus de serveur discret, plus d’heure qui passait avec une insistance amusée pour nous dire hé, t’as pas un métier

ces moments près du fleuve, ces jardins aux arbres caressants

la couleur verte de l’eau et des saules, le rythme apaisé de la ville, les moments où les mots s’arrêtent pour laisser battre le coeur

une ou deux nuits peut-être

oui, faire l’amour c’est juste comme caresser les étoiles et nager au fond de l’océan

ces moments où on y a cru,


ils étaient vrais.


Je ferme presque les yeux, je respire. Je regarde par la fenêtre. Les arbres ont perdu presque toutes leurs feuilles. Les voitures empilées au feu rouge.

La pluie qui n’a même pas le courage de se transformer en neige.

Je clique sur le signe – et le dossier rabbit se replie, surligné en bleu par la sélection.

Je t’aime.

J’appuie sur Suppr.

Pas de petites flammes qui dévorent les liasses de papier à lettre, pas de morceaux détrempés qui flottent comme des feuilles avant de s’enfoncer dans le canal.

Ce qu’il y a de con avec internet c’est qu’on ne profite pas longtemps de la souffrance.



9 commentaires:

Manu Causse a dit…

pas mal du tout, 11 fois et demi.
quelques maladresses, des expressions clichés (à peine, que j'aime faire sauter
perso, mais on s'en fout de moa), mais rien de méchant, un bon début qui campe
le truc et donne envie d'entrer enfin dans les fameux messages.
La Guerre des Rose ?
Ou un grand foin d'amour ? That is the question...
Et des expressions à la Manu (on commence à retrouver ta patte, c'est le plus
important) qui font rire.

un éditeur a dit…

pas mal du tout, 11 fois et demi.
quelques maladresses, des expressions clichés (à peine, que j'aime faire sauter
perso, mais on s'en fout de moa), mais rien de méchant, un bon début qui campe
le truc et donne envie d'entrer enfin dans les fameux messages.
La Guerre des Rose ?
Ou un grand foin d'amour ? That is the question...
Et des expressions à la Manu (on commence à retrouver ta patte, c'est le plus
important) qui font rire.

Manu Causse a dit…

euh, pardon, je l'ai mis deux fois et je ne sais pas comment supprimer la première... j'affiche ici les avis sur le texte, je vais aller en récupérer deux autres et je vous les affiche ensuite... sinon, vous, ça va ?

Manu Causse a dit…

Fin : L’idée de départ est plus qu’intéressante et renouvelle l’idée du roman épistolaire (le quotidien Elle joue chaque semaine de cette narration) à rebours. Mais seule l’idée est annoncée, comme un projet à exécuter. Du coup, vous comprenez que le lecteur reste sur sa fin. L’esthétique de la frustration est à creuser mais avec davantage de lacunes dans votre récit pour être vraiment appuyée, pour entretenir le mystère. Qu’à la fin, le lecteur soit obligé de remonter des indices pour comprendre : viol, meurtre, inceste, amour entre deux hommes, quelque chose qui lui aurait échappé en première lecture. La référence à « l’éditeur » est maladroite : on en lit souvent dans les textes.

Manu Causse a dit…

ah, je viens de comprendre... blogger bloque de temps en temps sur les commentaires, donc le précédent devrait aussi porter l'en tête "un éditeur a dit...".

Pff, pff, pff...

Manu Causse a dit…

cette fois, c'est bien moi qui dit : je ne trouve plus le commentaire de la maison Page à Page, que j'ai du effacer de mes mails... bon, ben je demande à JFP si des fois que.

Manu Causse a dit…

... et après il se tait,

vous pouvez m'envoyer vos commentaires, remarques, avis, illustrations... concernant cette nouvelle, ici ou par mail chez editeursmanucausse@free.fr.

D'ici un ou deux mois, je reprends tout, je mélange et je refais.

Manu Causse a dit…

Grr, ça m'horripile quand le compte "éditeurs" ne marche pas...
Voilà ce que j'ai reçu par mail, d'une internaute qui se demandait si elle avait le droit de me dire tout ça :


alors les "ça" cela choque, d'accord tu es un écrivain internaute, mais
cela me choque....l'idée est bonne, on sent qu'il y a du vécu, la chute est
sympa....mais j'ai trouvé le serpent pas placé ou il fallait....peut etre
aussi faut il raccourcir les paragraphes....je l'ai lu trois fois, pour lire
à l'intérieur des mots, il m'a donné envie de le faire.....
les gens qui lisent ça vont se dire, tiens, j'ai vécu la même chose, donc,
je suis normal(e)....

Emma a dit…

C'est ça, ton roman?
Tes grimaces, d'hier, ton hésitations, tes ras-le-bol j'y arrive pas, même des gros mots, mind you... Dis-donc, si le reste est du même acabit, alors accroche-toi, continue : c'est excellent. Je ne sais pas si je peux dire ça ici, peut-être le grand cric me croquera-t-il entre-temps, mais vas-y Manu, c'est prenant et touchant. Pour les détails, tu verras le moment venu avec ton correcteur (je joue le jeu, je fais mon Editeur...)